David Gorelick : Comment tout a-t-il commencé ?
Raphael Mechoulam : Tout est parti d’un trajet fatidique en bus en 1964, lorsque j’ai apporté 5 kilos de haschisch libanais que j’ai reçus de la Police israélienne à mon laboratoire de l’Institut Weitzman à Rehovot. Avec ce matériel, nous avons pu isoler et identifier le composant psychoactif du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC), qui avait échappé aux scientifiques pendant des décennies. Le reste, dirons-nous, appartient à l’histoire.
DG: Quels développements dans la recherche sur le cannabis sont, selon vous, particulièrement passionnants?
RM: Je pense qu’il faudrait se concentrer davantage sur les précurseurs acides du THC et du CBD–THCa et CBDa. Ces molécules ont une faible stabilité et, par conséquent, très peu de recherches ont été effectuées sur elles. Mais je pense qu’ils ont un gros potentiel et qu’ils devraient être étudiés davantage.
DG : Quels sont, selon vous, les défis majeurs pour l’avenir ?
RM : Il y a un manque de recherche clinique. Le règlement restreint toujours la recherche sur le cannabis. De plus en plus de preuves s’accumulent, mais certainement pas encore suffisantes. Tant de patients atteints de cancer dans le monde ont consommé du cannabis pendant des années, mais il n’y a toujours presque pas d’essai clinique contrôlé randomisé avec des patients atteints de cancer. Chaque médicament fait l’objet d’essais cliniques. Et les essais cliniques coûtent de l’argent, généralement beaucoup. Le financement est un autre gros problème. Les essais cliniques sont généralement financés par des sociétés pharmaceutiques, mais il semble que ces entreprises ne soient pas intéressées à investir dans le cannabis. Comme il ne peut pas être breveté, ils n’obtiendraient probablement pas de retour sur leur argent. Espérons que les gouvernements devraient s’intéresser à ce genre de données, mais nous savons que les gouvernements, en général, n’ont pas la capacité nécessaire pour faire de telles recherches.
DG: Où pensez-vous que le terrain va dans le futur?
RM: Vous savez, en plus des endocannabinoïdes connus (Anandamide, 2-AG, etc.) le corps produit également un grand nombre de composés de type endocannabinoïde. Le corps ne génère pas de composés sans raison. Ces composés de type endocannabinoïde doivent jouer un rôle endogène. Bien que ce ne soit pas encore clair, je pense qu’il est possible que les différents profils de ces composés soient au moins partiellement responsables de nos différences de comportement, peut-être une base moléculaire pour notre personnalité.
De plus, ces composés peuvent jouer un rôle dans la défense de l’organisme contre les maladies. Il est difficile de croire que le corps humain ne possède pas d’autres mécanismes pour traiter les maladies où la méthode anticorps / antigène du système immunitaire n’est pas pertinente. Ces composés de type endocannabinoïde peuvent faire partie d’un aspect plus large jusqu’ici inconnu du système immunitaire, protégeant contre les maladies d’une manière que nous ne découvrirons que dans les 20 prochaines années.
DG : Quels sont vos sentiments à l’égard d’une nouvelle revue dans le domaine de la recherche sur le cannabis ?
RM: Il y a certainement de la place pour une autre revue, en particulier une revue largement multidisciplinaire, couvrant tous les domaines de l’agriculture et de la biologie de la plante de cannabis, aux endocannabinoïdes, à la pharmacologie humaine, au cannabis médical et à l’industrie du cannabis.